Anne Teresa De Keersmaeker reçoit le Praemium Imperiale à Tokyo

Publié le 23.10.2025, 14:05

Le 22 octobre 2025, Anne Teresa De Keersmaeker a reçu le Praemium Imperiale, également connu sous le nom de Prix Nobel des Arts.

Son Altesse Impériale la Princesse Hitachi a remis à Tokyo les médailles du Praemium Imperiale 2025 à l’ensemble des lauréats : Marina Abramović (Sculpture), Peter Doig (Peinture), Eduardo Souto de Moura (Architecture), András Schiff (Musique) et Anne Teresa De Keersmaeker (Film/Théâtre).

Créé en 1988 par la Japan Art Association, le Praemium Imperiale est un prix artistique international qui récompense des réalisations exceptionnelles. Les lauréats sont distingués pour avoir transcendé les frontières nationales et ethniques, et pour incarner la culture et les arts de notre époque.

Anne Teresa De Keersmaeker rejoint ainsi la prestigieuse lignée de chorégraphes et de danseurs honorés dans cette catégorie — parmi lesquels Mikhail Baryshnikov (2017), Merce Cunningham (2005), Pina Bausch (1999) et Maurice Béjart (1993).

Speech Anne Teresa De Keersmaeker

C’est avec un profond sentiment d’humilité que je me tiens devant vous pour recevoir ce prix. Depuis la fondation de ma compagnie de danse Rosas en 1983, en tant que chorégraphe et danseuse, j’ai été chaleureusement accueillie dans ce pays à de nombreuses reprises. Plusieurs de mes collaborateurs artistiques sont japonais. Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous quelques réflexions sur ce que je considère comme l’essence même de l’art de la danse et sur sa pertinence dans le monde d’aujourd’hui.

Quel est le rôle des arts dans notre monde complexe — parfois violemment complexe — d’aujourd’hui ? Est-ce un rituel ? Nous avons tendance à considérer les arts, et la danse en particulier, comme quelque chose de transitoire : les êtres humains ont toujours dansé et fait de la musique aux moments importants de leur vie, dans les instants de grande joie comme dans ceux de profonde tristesse.

Dans cette optique, les arts peuvent rassembler les gens dans un acte de célébration, de consolation ou de réflexion — trois fonctions ancestrales de l’acte artistique. Célébrer, pleurer et réfléchir sont, après tout, essentiels pour les animaux mortels que nous sommes, coincés entre le passé et l’avenir. Regarder en arrière vers le passé, être ensemble dans le présent, imaginer l’avenir, un avenir différent — voilà le pari modeste sur la beauté artistique que nous pouvons encore faire aujourd’hui.

Et pourtant, la danse est peut-être plus singulière que d’autres formes d’art — notamment à travers son lien avec cet élément obstiné de la vie humaine : le corps. La danse apparaît alors comme à la fois la plus contemporaine et la plus intemporelle de toutes les formes d’art : qu’y a-t-il de plus « ici et maintenant » que le corps lui-même ? Les êtres humains ont toujours dansé.

Mais le corps vieillit. Moi aussi, sans doute. En ce sens, la danse est à la fois l’activité la plus historique et la plus anhistorique — à la fois entièrement inscrite dans la nature et pourtant capable de s’en élever. De la même manière, la danse semble universelle tout en étant proprement humaine. Nous, les humains, choisissons de danser, et c’est ainsi que nous pouvons nous placer au-dessus de la nature, sans jamais totalement la transcender. Les étoiles dansent-elles ? Les nuages, les oiseaux ?

Aucune activité n’illustre mieux cette expérience humaine que la danse elle-même. Dans ce pays, connu pour sa longue tradition de vie en étroite relation avec la nature, bien qu’ayant aussi connu les forces les plus violentes et dévastatrices des interventions technologiques humaines dans la nature, c’est le plaidoyer que je peux encore faire en faveur de la danse comme art.

Autant je crois à la dimension spirituelle intrinsèque et au pouvoir de guérison de la nature, autant je crois aux forces potentiellement harmonisantes de tous les arts, et en particulier de la danse.

J’espère que ce modeste plaidoyer en faveur de la danse rendra justice à l’immense honneur que vous vous apprêtez à me décerner.

© The Japan Art Association/The Sankei Shimbun